RAIES MANTA
Quelles menaces planent sur elles ?
Comment les protéger ?
Mieux connaître les raies manta
Les raies manta sont des animaux qui vivent en pleine mer (dits “pélagiques”), entre 0 et 1000 mètres de profondeur. Il en existe deux espèces : la raie manta géante (Mobula birostris) qui peut faire jusqu’à 7 mètres d’envergure, et la manta des récifs (Mobula alfredi) plus petite, de 3 à 4 mètres d’envergure. Avec les 9 autres espèces de raies connues, elles forment le groupe des Mobulidés (1).
Habituées à des températures supérieures à 20°C, ces espèces se retrouvent principalement dans les zones tropicales mais leur migrations annuelles les font s’aventurer aussi dans les zones tempérées chaudes de l’océan Atlantique (2). C’est un poisson à croissance lente, à maturité sexuelle tardive et à faible fécondité : seulement 3 juvéniles par femelle peuvent naître au cours de leur vie (3).
Elles nagent en profondeur la nuit et remontent en haut de la colonne d’eau dans la journée, pour se nourrir en filtrant le plancton. On peut les retrouver plus facilement en journée au niveau de ‘stations de nettoyage’, où elles se laissent déparasiter par d’autres espèces comme les labres (Labridae)(4).
Quelles menaces pèsent sur elles ?
En 50 ans, les signalements de raies ont diminué en moyenne de 70%, et même de 90% au large des côtes du Mozambique (5). Mais quelles causes mènent à leur disparition ?
Les raies manta sont ciblées par la pêche de petite échelle depuis des siècles ; mais depuis les années 1990 les raies sont pêchées de plus en plus pour leurs ailerons, leur peau et surtout leurs branchies, très prisées par la médecine chinoise pour leur vertus aphrodisiaques. La démocratisation de ces remèdes traditionnels à des centaines de millions de consommateurs potentiels pourrait mener à l’extinction totale des raies manta (6). Les techniques de pêche professionnelles non sélectives (filet, palangre, senne tournante, chalut de fond…) sont également un fléau pour les populations de raies manta et autres grands animaux marins (requins, tortues et cétacés). De nombreuses prises accidentelles ont lieu lors de la pêche au thon, une espèce recherchée pour sa chair et dont le lieu de vie s’entremêle avec celui des raies manta.
Plusieurs types de pollution menacent les raies manta. La première, peu médiatisée et encore trop peu connue, est la pollution sonore. Causée principalement par le transport maritime, l’exploration pétrolière et gazière, la pollution sonore empêche les individus de détecter leurs proies, reconnaître leurs prédateurs, leurs partenaires et leur environnement en général. Elle affecte de nombreuses espèces marines notamment les espèces migratrices et cotières. Il est très difficile d’évaluer l’impact de cette forme de pollution sur les raies manta ; mais on suspecte qu’elle soit à l’origine de leur disparition dans certains espaces très anthropisés (7).
La pollution plastique est aussi un problème majeur pour les raies manta. Pour récolter le plancton dont elles se nourrissent, les raies manta filtrent une grande quantité d’eau (plus de 86 m³ par heure !) au travers de leurs branchies. Il a ainsi été rapporté (Germanov et al, 2019) que les raies de la Manta Bay (Indonésie) peuvent ingérer directement entre 110g et 980g de plastique par kilo de plancton (8). Par ailleurs, elles subissent également la bioaccumulation des microplastiques, c’est-à-dire qu’elles accumulent dans leur organisme les plastiques préalablement ingérés dans le plancton qu’elles consomment.
Comment les protéger ?
La création d’aires marines protégées (AMP) semble nécessaire dans la protection des élasmobranches dans leur ensemble, victimes de la pêche illégale et des prises accidentelles. Pour envisager une protection efficace, il est impératif de connaître leur répartition géographique au cours de l’année et même de la journée. Le plancton étant leur principale source de nourriture, il est possible de prévoir leur localisation et leurs mouvements en suivant les proliférations (blooms) de microalgues et de zooplancton. Celles-ci peuvent notamment se former au niveau des tombants lorsque l’intensité lumineuse est forte; si celle-ci est faible durant la journée, les raies manta se dirigent préférentiellement vers les stations de nettoyage, au niveau des récifs (9).
Des études récentes ont montré que les prises accidentelles de raies (mais également d’autres élasmobranches comme les requins) pourraient être drastiquement réduites par l’interdiction du chalutage à des profondeurs supérieures à 600m. Dans ces espaces (entre -600 et -1000m) la proportion de prises accidentelles de raies et requins augmenterait fortement, à l’inverse des bénéfices commerciaux liés aux autres espèces d’intérêt (10).
La pêche illégale est motivée par le fort prix de revente de la chair des raies, principalement sur les marchés asiatiques. La lutte contre la pêche illégale doit passer par une surveillance accrue des AMP, et la localisation des navires illégaux. Il est théoriquement possible de suivre ces derniers par satellite, via le système de positionnement AIS (automatic identification system), mais celui-ci n’est pas infaillible puisque les bateaux de pêche sont autorisés à éteindre le système de positionnement (afin d’échapper à de potentiels pirates). Il est alors impossible de vérifier si ces extinctions résultent d’un danger, ou d’une motivation effective de pêche en zones illégales (11).
Face à la pollution plastique en mer, les solutions se trouvent avant tout dans la gestion des déchets à terre. En effet, 80% des déchets dans l’océan proviennent des continents, charriés par les grands fleuves (12). Quant à la pollution sonore, même si les Nations Unies reconnaissent son impact sur de nombreuses espèces marines, il n’existe actuellement aucune loi l’encadrant à l’échelle européenne. 2 députés (M. Loïc Dombreval et M. Jean-Luc Lagleize) ont déjà demandé des mesures à l’assemblé nationale en 2019, mais aucune loi n’a été passée pour le moment (13).
Agathe Martocq
⇒ Projet Manta : L’Afrique du Sud et le Mozambique sont des hotspots pour de nombreuses espèces de raies et de requins menacées, ou pour lesquelles il manque des données essentielles. Les observations de raies manta y ont diminué de 90%, soulignant l’urgence de protéger ces espèces et leurs habitats clés. L’objectif principal de ce projet est d’identifier les zones de chevauchement entre les raies manta et la pêche industrielle, et d’évaluer l’efficacité des aires marines protégées (AMP) pour leur conservation grâce à des méthodes de suivi satellite.
⇒ La plus grande population de raies manta océaniques du monde à été découverte près de côtes équatoriennes : 22 000 spécimens seraient présents dans cette zone selon la nouvelle étude de la Marine Megafauna Fundacion : “Demographics and dynamics of the world’s largest known population of oceanic manta rays Mobula birostris in coastal Ecuador”.
Sources :
(1) Phylogeny of the manta and devilrays (Chondrichthyes: mobulidae), with an updated taxonomic arrangement for the family
https://academic.oup.com/zoolinnean/article/182/1/50/3886052
(2) Giant manta ray : mobula birostris : endangered red list
Reef manta ray : mobula alfredi : vulnerable red list
https://www.iucnredlist.org/species/198921/214397182
https://www.iucnredlist.org/species/195459/214395983
(3) Reproductive ecology of the reef manta ray Manta alfredi in southern Mozambique
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1095-8649.2010.02669.x
(4) La raie manta : menaces sur le diable de mer https://www.conservation-nature.fr/animaux/poisson/raie-manta/
(5) Half a century of global decline in oceanic sharks and rays
(6) Vulnerabilities and fisheries impacts: the uncertain future of manta and devil rays
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/aqc.2591
(7) Rapport intermédiaire sur la gestion des impacts du bruit sous-marin et des débris marins sur la diversité biologique marine et côtière – CBD
https://www.cbd.int/doc/meetings/sbstta/sbstta-18/official/sbstta-18-05-fr.pdf
(8) Microplastics on the Menu: Plastics Pollute Indonesian Manta Ray and Whale Shark Feeding Grounds
https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmars.2019.00679/full
(9) Feeding – Cleaning Trade-Off: Manta Ray “Decision-Making” as a Conservation Tool
https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmars.2019.00088/full
(10) Chalutage 600m:
https://www.gla.ac.uk/news/archiveofnews/2015/august/headline_417882_en.html
(11) Solution pour traquer la pêche illégale depuis l’espace
(12) Déchets marins, Ministère de la transition écologique
https://www.ecologie.gouv.fr/dechets-marins
(13) 2 députés demandent des mesures contre la pollution sonore des océans qui nuit aux cétacés et autres animaux marins