MANGROVES
Quels rôles pour la biodiversité marine ?
Quels enjeux face au changement climatique ?
Une mangrove est un ensemble de végétation composée principalement de palétuviers, des arbres aux racines aériennes dites “en échasses”, qui baignent dans de l’eau saumâtre, un mélange d’eau douce et d’eau de mer. Elles se développent sur le littoral à proximité d’estuaires, dans la zone de balancement des marées. Elles couvrent 75% des littoraux tropicaux, et sont réparties sur 5 continents différents : en Amérique du Nord, du Sud, Asie, Océanie et Afrique (1). Les mangroves Françaises occupent 91000 hectares de littoral par les départements d’Outre-mer, soit le 29è rang mondial des pays possédant de la mangrove.
Les mangroves sont l’un des écosystèmes les plus productifs de la planète.
A l’interface terre-mer, ces forêts marines fournissent un habitat, de la nourriture, une zone de frai et de nurserie pour une grande variété d’organismes : des algues, mollusques, crustacés, et poissons côtiers, etc. Elles permettent également le développement des larves et juvéniles de nombreuses espèces de poissons de récifs, qui rejoignent ensuite la pleine mer à l’âge adulte. Certaines espèces terrestres viennent également s’y alimenter et se cacher dans leurs vasières comme des oiseaux (comme le héron cendré ou le martin pêcheur dans les mangroves de Mayotte) (2). Elles sont également un site de ponte privilégié pour certaines espèces de tortues: les littoraux de République démocratique du Congo hébergent par exemple la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea, 96% des nids) et la tortue Luth (Dermochelys coriacea, 4 % des nids) (3).
Les mangroves, un rempart naturel face au dérèglement climatique.
Elles sont également le premier rempart des communautés côtières face aux tempêtes, aux inondations et aux ouragans. Elles permettent de diminuer l’énergie des vagues et du vent mais freinent aussi l’érosion des côtes. Dans son 6è rapport d’évaluation (publié en 2022), le GIEC rappelle qu’avec l’aggravation du changement climatique viendront une augmentation de l’intensité et de la fréquence d’événements extrêmes (cyclones, inondations, sécheresses). La capacité des mangroves à atténuer les conséquences de ces événements est donc vitale pour les populations côtières tropicales (4).
Les régions couvertes par les mangroves sont d’importants puits de carbone : elles emprisonneraient dans les sédiments de leurs sols jusqu’à 4 fois plus de carbone par hectare que les forêts tropicales humides (5). En bonne santé, elles sont aussi capables de stocker du protoxyde d’azote (N₂O), un autre gaz à effet de serre 270 fois plus puissant que le CO₂ : en stabilisant la quantité de ces gaz dans l’atmosphère, elle joue un rôle essentiel dans l’atténuation du changement climatique.
Destruction des mangroves, causes et conséquences.
Pourtant, ces habitats régressent à une vitesse alarmante : 20 à 35% ont déjà disparu depuis les années 1980.
En cause ? La généralisation des activités humaines à la fois sur la côte (développement urbain et touristique, aquaculture intensive, surexploitation du bois, poissons, crustacés et coquillages) mais aussi dans les terres (agriculture intensive, extraction minière, déforestation, etc.) (6).
L’équilibre de ces écosystèmes est perturbé par le ruissellement agricole et les eaux usées, qui augmentent fortement la quantité d’azote dans les estuaires lorsqu’ils atteignent les côtes. Les mangroves peuvent alors devenir des émetteurs nets de N₂O (7). Par ailleurs, on estime que 10% des émissions de GES associées à la déforestation seraient liées à la destruction volontaire des mangroves, qui libère le CO₂ et autres GES emprisonnés dans les sédiments. Ces phénomènes participent à la boucle rétroactive du changement climatique, et aggravent donc le réchauffement global de notre planète. A plus long terme, leurs aires de répartition sont amenées à être fortement remodelées par la montée du niveau de l’eau, les changements de température (air et eau), et selon leur résilience face aux évènements climatiques extrêmes.
Les conséquences de la destruction des mangroves sont nombreuses et préoccupantes. Des études ont révélé un lien direct entre la dégradation des mangroves et la diminution des ressources halieutiques environnantes, ce qui pourrait amener à une plus grande insécurité alimentaire pour les populations environnantes (8).
Dans le golfe du Mexique et aux Antilles, la prolifération des sargasses (algues brunes) a été directement reliée à la destruction des mangroves des côtes brésiliennes, bien plus au Sud. Les nutriments charriés par les grands fleuves, auparavant filtrés par les mangroves, se déversent au large et nourrissent les algues qui forment ensuite de larges radeaux dérivants. Une fois déposées sur les côtes, les sargasses se décomposent et produisent rapidement (sous 48h) de l’hydrogène sulfuré (H₂S) et de l’ammoniac gazeux (NH₃), en des mécanismes comparables à ceux des algues vertes en Bretagne. Ces gaz sont toxiques aussi bien pour les humains que pour la biodiversité (9).
Replanter les mangroves, bonne ou mauvaise idée ?
Dans leur synthèse publiée en 2022 (10), J-P. Gattuso (directeur de recherche au laboratoire d’océanographie de Villefranche sur mer-Sorbonne Université) et P. Williamson (University of East Anglia) alertent sur les limites et dangers associés à la restauration aveugle de ces habitats. Le processus de replantation artificiel est complexe, rarement pérenne, et au bilan climatique total incertain : la mobilisation des sédiments d’une zone nue ou déforestée pourrait notamment mener au relargage d’une grande quantité de méthane et de N₂O dans l’atmosphère.
Dans l’attente de méthodes de quantification du carbone effectivement séquestré, et de techniques robustes de replantation, il est urgent de protéger les mangroves naturelles -et leurs fonctions écologiques- en préservant leurs conditions d’existence, en diminuant nécessairement l’impact de nos sociétés sur ces habitats.
Life under the mangroves, Raja Ampat, Indonesia
⇒ Un exemple de projet visant à la sauvegarde des mangroves : le projet Mangrove Beekeeping soutenu par Pure Ocean
Le projet Mangrove Beekeeping, porté par la Fundacion Mundo Azul a pour but d’installer une filière d’apiculture durable dans les mangroves caraïbes du Guatemala. Avec un fort ancrage territorial, cette initiative vise à apporter une valeur économique directe à ces espaces naturels (par la production de miel), et ainsi impliquer les populations locales dans sa préservation et la lutte face aux projets de déforestation.
Agathe Martocq
Sources :
(1) Répartition des littoraux à mangrove dans le monde (in Taureau, 2017 d’après Alongi, 2009 ; Hogarth 2007 et Tomlinson 1994. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01698117/document
(2) L’utilisation des mangroves martiniquaises par la population : une question de protection et de préservation, Sicou Jihane 2019. https://archipel.uqam.ca/13401/
(3) Rapport d’activité sur la conservation des tortues marines au littoral de la R.D.C. De Samuel MBUNGU NDAMBA Coordonnateur de l’ONG ACODES https://ruffordorg.s3.amazonaws.com/media/project_reports/20927-1%20Detailed%20Final%20Report.pdf
(4) 6ème rapport du GIEC. https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/
(5) Brazilian Mangroves: Blue Carbon Hotspots of National and Global Relevance to Natural Climate Solutions. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/ffgc.2021.787533/full
(6) Responses of ecosystem services to natural and anthropogenic forcings: A spatial regression based assessment in the world’s largest mangrove ecosystem https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969720305143
(7) L’oxyde nitreux, un puissant gaz à effet de serre, est en augmentation dans les zones mortes des océans, article de Brett Jameson 2021 https://theconversation.com/loxyde-nitreux-un-puissant-gaz-a-effet-de-serre-est-en-augmentation-dans-les-zones-mortes-des-oceans-164192
(8) Réhabilitation des mangroves comprises entre Fresco et Grand-Lahou en Côte d’Ivoire : Zones importantes pour la pêche. Mathieu Wadja EGNANKOU https://www.fao.org/3/al061f/al061f05.pdf
(9) Sargasses, causes et conséquences, Parc national de la Guadeloupe http://www.guadeloupe-parcnational.fr/fr/des-connaissances/les-missions-scientifiques/lactualite-scientifique/sargasses-causes-et
(10) Carbon Removal Using Coastal Blue Carbon Ecosystems Is Uncertain and Unreliable, With Questionable Climatic Cost-Effectiveness, etude de Jean Pierre Gattuso et Phil Williamson 2022 https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fclim.2022.853666/full